SON HISTOIRE
JEUNESSE EN POLOGNE
Frans Krajcberg nait le 12 avril 1921 en Pologne, à Kozienicé, petite ville située à 210 km environ au sud de Varsovie. Sa famille est nombreuse (cinq enfants), juive et modeste.
Enfant déjà, la forêt est un refuge pour le petit Frans : il s’y cache pour échapper au harcèlement de ses camarades d’école qui l’accusent… d’être juif. « Dans la Forêt (de mon village) je trouvais l'unique lieu où je pouvais me questionner. J'ai trop souffert, enfant, du racisme cruel qu'a donné la religion : ces fanatiques n'admettaient rien d'autre. Je me demandais où j'étais né, pourquoi là et pas dans un pays où on me détesterait moins. »
Son père est marchand de chaussures et sa mère, Bina, une militante communiste reconnue au sein du parti polonais. Dans les années 1930, le Parti communiste et les livres jugés tendancieux sont interdits en Pologne. Ce qui ne fait qu’augmenter l'esprit combatif de Bina, pour qui c'est bien « par l'instruction que passe l'émancipation des peuples".
Fréquemment emprisonnée, Bina Krajcberg mène un combat sans faille. Elle est pendue par les nazis en 1939, le jour de la déclaration de guerre. Frans Krajcberg, alors âgé de 18 ans, va reconnaitre son corps dans la prison de Ramdam, près de Varsovie. Il a juste le temps récupérer le collier de sa mère, qui restera toute sa vie un talisman. Sans doute, le caractère et les convictions de Bina Krajcberg ont influencé son fils : fuir l’intolérable, lutter pour survivre !
Frans Krajcberg en 1945
Après la mort de sa mère en 1939 près de Varsovie, Frans Krajcberg rentre chez lui, à Kozienice. Il ne trouve plus trace de sa famille. Emprisonné dans une église où les nazis ont regroupé les juifs du village, il réussit à s’échapper en courant dans la forêt. Passant au travers des balles, il réussit à traverser le fleuve pour retrouver la liberté.
LA RUSSIE, LA GUERRE, LES CAMPS
Avec d’autres résistants et rescapés polonais, Frans Krajcberg rejoint l’Armée Polonaise Rouge, en Union Soviétique. À Vilnius, il rencontre Mordechaj Anielewich, qui mènera l’insurrection du Ghetto de Varsovie. Malade, il est hospitalisé à Minsk et commence à peindre pendant sa convalescence. A Léningrad, il entre aux Beaux-Arts et mène parallèlement des études d’Ingénierie hydraulique. Il apprend le russe.
A Léningrad, Frans Krajcberg rencontre Natacha, sa première grande passion. En 1941, le Reich attaque l’U.R.S. S et encercle Leningrad. Krajcberg fuit le siège de la ville par les nazis et pendant des semaines il court entre les bombes, pris entre le front allemand et le front russe. Natacha meurt sous ses yeux, sur la route de Minsk, alors qu’ils se sont réfugiés dans la forêt pour échapper aux bombardements.
Incorporé dans la Première Armée polonaise il est envoyé à Tachkent, en Asie Centrale, où il devient contrôleur technique des barrages d’Ouzbekistan. Il adopte un faux nom pour dissimuler ses origines juives. En 1943, il intègre la Seconde Armée polonaise comme officier affecté à la construction des ponts. Il devient le pontonnier du Maréchal Joukov.
Il construit le pont qui va permettre de libérer la Pologne. Frans Krajcberg est le premier militaire à entrer dans Varsovie libérée, marchant, seul, loin devant les colonnes blindées.
Frans Krajcberg dans l'uniforme de l'armée Polonaise
Histoires du nazisme, 1945, gravue sur métal, 12x16cm, Stuttgart
Avec l’Armée Rouge, Frans Krajcberg est confronté à l’existence des camps de concentration, l’horreur sans nom, qui le traumatise profondément. En Juillet 44, il entre dans le camp de Mjdanek, à proximité de la frontière russo-polonaise. On lui avait dit que ses parents étaient peut-être là. Il prend conscience, jusque dans sa chair, de l’ampleur de la folie humaine. L’image de « ces montagnes de corps, entassés pêle-mêle », où ses parents se trouvaient peut-être, le hanteront jusqu’à la fin de sa vie.
Lorsqu’il rentre chez lui, l’appartement familial est occupé. Une femme lui claque la porte au nez, le traitant de sale juif. Il décide de ne plus jamais remettre les pieds en Pologne. Il jette les deux médailles décernées par Staline par-dessus la frontière tchécoslovaque et s’en va à Stuttgart, où il tente une dernière fois, mais en vain, de retrouver des survivants de sa famille. Ils ont tous péri dans l’holocauste. « Je suis reparti (du camp de concentration) dans un état de choc indescriptible, muet d’horreur (…) Chaque fois que je vois l’entassement des arbres d’Amazonie brûlés par les hommes, je ne peux m’empêcher de penser à la cendre des fours crématoires : les cendres de la vie, les cendres du feu des hommes devenus fous ».
ÉCOLE DU BAUHAUS
A Stuttgart, Frans Krajcberg apprend l’allemand. Il étudie aux Beaux-Arts avec Willy Baumeister (1889-1955), professeur au Bauhaus qui a choisi de rester en Allemagne et de résister. Il découvre cette création d’avant-garde diabolisée par Hitler.
« L'enseignement de Baumeister était ouvert, stimulant et généreux. Il poursuivait l'esprit du Bauhaus et nous rompait à toutes les techniques. Pour aider les étudiants, Baumeister avait instauré un prix qu'il donnait de sa poche. Je l'ai gagné deux fois. Il m'invitait chez lui et m'a conseillé d'aller à Paris. Il m'a fait une lettre de recommandation pour Fernand Léger ».
En quelques mois, Krajcberg acquiert une bonne culture sur l’Art Moderne et les principaux courants artistiques. « Là, j'ai tout appris sur le Bauhaus, sur les grands mouvements de l'Art Moderne : on discutait du Cubisme, de Cézanne... Après ce que j'avais vécu, je me sentais plus proche de l'Expressionnisme que du Concrétisme. ». Il est convaincu qu’il doit continuer dans cette voie. L’Art agit sur lui comme une forme de rédemption.
MONTPARNO D'APRÈS-GUERRE
À Paris, Fernand Léger l’héberge durant trois mois. Rapidement Krajcberg prend néanmoins conscience que l’Europe ne l’aidera pas à revivre. Il a besoin de changer de vie, radicalement. Marc Chagall, dont il a connu la famille à Vitebsk, l'aide à prendre ce nouveau départ. L’une de ses amies s’occupe d’immigrations et lui propose de partir pour le Brésil. La loi brésilienne accepte l’immigration de femmes étrangères, mariées ou sur le point de l’être.
Elle connait une jeune hongroise, dont la famille aisée se dit prête à payer son billet en échange de « fiançailles blanches ». Frans Krajcberg accepte, sans même savoir où se trouve le Brésil. Ils voyagent, l’un en 3ème classe, l’autre en 1ère. Krajcberg ne reverra jamais sa « promise ». Il débarque à Rio de Janeiro en 1947, où commence une nouvelle vie en terre inconnue. Frans Krajcberg a 26 ans ; tout est à réinventer.
LA DÉCOUVERTE DU BRÉSIL
A son arrivée à Rio, sans un sou en poche, Frans Krajcberg dort sur la plage de Botafogo. En 1948, il se rend à São Paulo, où Francisco Matarazzo vient d’ouvrir le Musée d'Art Moderne. Ce dernier embauche Krajcberg comme manutentionnaire. Très vite, Krajcberg intègre les milieux artistiques de la ville. Il fréquente les "peintres autodidactes" de la Familia Artistica Paulista : Volpi, Cordeiro, Mario Zanini … qui le fait entrer dans l'atelier de Osir Arte, où il exécute les azulejos commandés à Portinari pour les grandes réalisations architecturales du Modernisme.
En 1951, Krajcberg dirige l’accrochage de la Première Biennale de São Paulo, où Max Bill reçoit le Grand Prix. L’année suivante, Bill sera le chef de fil et l’un des fondateurs, avec Cordeiro, du Concrétisme brésilien. La même année, Frans Krajcberg s’isole pour peindre à Itanhaem, un village du littoral, dans la maison de Mario Zanini qui l’y rejoint régulièrement avec Alfredo Volpi. Cette période inspirée du paysage est exposée au Musée d’Art Moderne mais Frans Krajcberg ne vend rien. Contrecoup de la guerre, misère matérielle, l'existence à Sao Paulo lui est rude. Il a le sentiment d’avoir « perdu toute identité morale ».
Alfredo Volpi, Mario Zanini, Bruno Giorgi, inconnu et Frans Krajcberg à São Paulo en 1950
En 1952, Lasar Segall tend la main à Frans Krajcberg. Il lui achète un dessin et l'envoie dans la papeterie que gère la famille Klabin à Monte Alegre, dans le Paraná, au sud de São Paulo. C'est le premier contact de l’artiste avec la nature brésilienne. Un vrai choc ! Frans Krajcberg est ébloui face à cette forêt sauvage et luxuriante ! Il quitte la papeterie et s'isole pour peindre dans la forêt. Peu à peu, au contact de la nature, il renait.
"Depuis que j'avais quitté Stuttgart, j'étais un homme perdu (…) Je détestais les hommes. Je les fuyais (…) Mais, isolement pour isolement, pourquoi vivre ? La nature m'en a donné la force, m'a rendu du plaisir à sentir, à penser, à travailler. A survivre. Je marchais dans la forêt et je découvrais un monde inconnu. Je découvrais la vie. La vie pure : être, changer, continuer, recevoir la lumière, la chaleur, l'humidité. La vraie vie : quand je suis dans la nature, je pense vrai, je parle vrai, je me demande vrai. Quand je la regarde je sens comment ça bouge : il est né, il est mort, la continuation de la vie. J'avais construit ma maison dans la forêt. Un chat sauvage m'avait adopté. Je collectionnais les orchidées. J'ai eu sûrement la plus grande collection d'orchidées du Brésil".
Frans Krajcberg et Samambaias, 1952-54
Pendant deux ans, Frans Krajcberg vit de ses créations en céramiques : poteries, azulejos, statuettes. Il peint son autoportrait, des natures mortes et des végétaux.
Frans Krajcberg vit dans une forêt gérée de manière écologique, mais ne supporte pas de voir peu à peu la nature du Paraná détruite par le feu et l’exploitation humaine. En 1955, sa propre maison dans la forêt brûle dans un incendie criminel. Ses dessins, peintures, créations en céramique ainsi que sa collection rare d’orchidées partent en fumée. A nouveau, Frans Krajcberg a tout perdu.
Il rentre à Rio, où il partage un atelier avec Franz Weissmann. Il expose conjointement avec Milton Dacosta et Maria Leontina à la Petite Galerie, à Rio et seul à la Bibliothèque publique du Paraná. Il commence à peindre une série de paysagisme abstrait, des « Samanbaias » (fougères), réminiscences du Paraná. Il travaille des réseaux linéaires de densité végétale sur des fonds de tonalités bleues, qu’il commence à rehausser de terre, tout en ménageant des trouées de lumière.
Samambaia, huile sur toile, 1955, 71x59cm.
Samambaia, huile sur toile, 1955, 60x49 cm
En 1957, Frans Krajcberg, remporte le prix du meilleur peintre brésilien à la Biennale de São Paulo, qui consacre Frans Weissmann comme meilleur sculpteur. Jackson Pollock reçoit le grand prix. Frans Krajcberg acquiert la nationalité brésilienne l’année suivante. Subitement célèbre, il vend ses toiles et retourne à Paris.
En France, Frans Krajcberg se trouve plongé dans le débat intellectuel et artistique de la fin des années 50 : guerre d’Algérie, crise de l’École de Paris, et polémiques de l’Abstraction. Intoxiqué à la térébenthine, il cesse de peindre. Il commence à orienter ses recherches vers un contact plus immédiat de la matière. Il fait des collages et des xylogravures sur papier japonais, réalisant ses premières "empreintes directes" de bois, selon la technique du papier moulé.
« J'ai eu beaucoup de chance en arrivant à Paris, car j'ai pu y survivre. J'ai eu quelques collectionneurs (…) J'ai vendu à Rosa Fried, pour sa galerie de New York, toutes les gouaches que j'ai faites dans ma chambre d'hôtel. Il y avait surtout ceux à qui j'échangeais mes toiles pour manger, les restaurants : la Coupole et en face, le Hongrois Patrick. A la Coupole, j'ai rencontré Sartre et Giacometti que j'admirais beaucoup. Je l'admire toujours. C'est le dernier qui ait fait quelque chose de la figure humaine : il en concentre toute l'expression dans ses petites têtes. A Paris, on parlait surtout du Tachisme : Soulages, Hartung, le geste. Et j'ai assisté à la mort du Tachisme. Paris stimule, mais je m'y sentais perdu. J'avais arrêté de peindre. Déjà à Rio, la térébenthine m'intoxiquait. J'ai fui pour travailler ».
1955, FK reçoit du Président Juscelino Kubitschek le prix du Meilleur Peintre à la Biennale de São Paulo
Au bout d’un an, Frans Krajcberg éprouve de plus en plus le besoin de travailler avec des matériaux naturels, au plus près de la beauté des éléments qui l’entourent. En 1958, il part à Ibiza, où il revient régulièrement jusqu’en 1964. Il vit de rien, dans une grotte proche de la mer et commence à photographier la nature, exerçant au quotidien son regard, aiguisant sa sensibilité. Il réalise ses premières "empreintes de rochers et de terres" et des tableaux avec des éléments naturels. Il rencontre le critique Pierre Restany qui écrit « La nature est son atelier. ... Elle est son étude et son médium ». Empreintes directes, assemblages ou traitements scénographiques… il est un précurseur marginal de l’Arte Povera.
« J'ai fui pour travailler. Je suis parti à Ibiza. Et j'ai eu pour la première fois, le besoin de sentir la matière, pas la peinture. J'ai fait des empreintes de terres et de pierres. Puis j'ai pris directement la terre en la collant. Ça ressemble à une espèce de Tachisme. Mais ça ne l'est pas. Ce n'est pas une peinture jetée. Il n'y a pas la gestuelle picturale. Ce sont des empreintes, des relevés. Des morceaux de nature. Après, je ne pouvais plus travailler à Paris Où trouver mes terres ? »
Il part en Amazonie pour la première fois.
1960, Frans Krajcberg à Ibiza, empreinte de roche en cours
En 1960, Frans Krajcberg est fait citoyen d’honneur de Rio de Janeiro, dont il reçoit les clés. L’année suivante, il participe à Paris à l’exposition Reliefs montée par San Lazzaro, qui dirige la Galerie et la Revue du XXème siècle. Jean Dubuffet, qu’il admire, apprécie ses matières. Georges Braque le prend en amitié et devient son mentor. Ils collaborent pour deux lithographies, et Braque en intègre une dans son dernier « tableau de « papier-collé ».
« J'ai aimé l'insolence des Nouveaux Réalistes et leur liberté. Ils voulaient sortir de la machine formelle de l'Abstraction sans retomber dans la figure. Ils voulaient sortir des gestes de la peinture. Et ils ont osé le geste de montrer. Montrer quoi ? La nature des villes. (…) L'artiste ne doit pas seulement aller dans la nature, mais participer à son époque (…) Aujourd'hui, la représentation humaine sert la pub et l'image électronique (…) leur seconde nature des villes n'est pas la mienne. C'est pourquoi je n'ai jamais cherché à entrer dans le groupe des Nouveaux Réalistes que je connaissais bien. J'appartiens à la minorité qui sait l'importance de la nature dans le devenir des hommes, donc mon travail l'exprime ».
La même année, Krajcberg rencontre Michèle, une française avec laquelle il vit durant quatre ans. Il se lie d’amitié avec le photographe-reporter Roger Pic qui habite allée du Montparnasse.
Il fait un deuxième voyage en Amazonie.
Frans Krajcberg, empreinte, 1960
En 1964, ses empreintes et ses tableaux de terres et de pierres permettent à Frans Krajcberg de remporter un prix à la Biennale de Venise, qui décerne, cette année-là, le Grand Prix à l’américain Robert Rauschenberg.
Invité dans le Minas Gerais, il rentre au Brésil et installe son atelier au pied du pic d'Itabirito, parmi les champs de minerais de fer dont les terres sont des pigments purs. C'est un éblouissement de couleurs. Frans Krajcberg réalise ses premières macrophotographies, et utilise les pigments naturels pour rehausser ses œuvres réalisées avec des bois morts ramassés. Il travaille ses tableaux en appliquant terre et colle, mêlées, sur papier séché au soleil, puis redessiné.
« Les montagnes étaient tellement belles que je me suis mis à danser. Elles passent du noir au blanc par toutes les couleurs. Les vagues convulsives de la végétation poussant dans les rochers m'émerveillaient. J'étais éperdu de beauté et je me demandais comment faire un art aussi beau. On se sent pauvre devant cette richesse. Elle m'angoissait, j'en avais peur. Mon œuvre est une longue lutte amoureuse avec la nature. Je pouvais montrer un fragment de cette beauté. Je l'ai fait. Mais je ne peux pas répéter ce geste à l'infini. Comment faire mien ce morceau de bois ? Comment exprimer la conscience que j'en ai ? Où est ma participation à cette vie qui m'inclut et me dépasse ? Jusqu'à maintenant, je n'ai pas dominé la nature. J'ai appris à travailler avec elle. (…). J'ai découvert la couleur, les terres de pigments purs, des couleurs qui sont des matières. Il y en a des centaines, ocre, gris, marron, vert, une gamme immense de rouges. Depuis 64, toutes mes couleurs viennent du Minas. (…) je ramassais des bois morts sur les champs de minerais et j'en ai fait mes premières sculptures en les colorant de terres. Je voulais leur redonner une autre vie. C'est ma période naïve et romantique ».
Au début des années 1960 Frans Krajcberg installe son atelier parisien Chemin du Montparnasse, à Paris -allée où se trouve aujourd’hui l’Espace Frans Krajcberg-. Il développe ses techniques de xylographie et d’empreintes gravées directement sur le bois, ainsi qu’une série de tableaux-assemblages à partir de fleurs qu’il sculpte et recouvre de pigments naturels de couleur rouge.
En 1965, autour d’un café aux Deux Magots, son ami José Zanine Caldas lui parle du petit village à Nova Viçosa, dans l’Etat de Bahia. Il y monte un projet pluridisciplinaire rassemblant des artistes et des intellectuels tels que l’architecte Oscar Niemeyer ou le chanteur Chico Buarque de Hollanda. Ils souhaitent créer un mouvement artistique face à l’uniformité technocratique du style international, puisant directement son inspiration dans la richesse offerte par les matériaux locaux. Au Brésil, évidemment le bois s’impose !
Composition rouge, 1965, végétaux et pigments naturels sur panneau de bois, 115 x 89 x 18 cm.
Cet ancrage dans la matière et la mémoire s’apparente au « Tropicalisme », mouvement qui gagne alors les arts. Séduit Frans Krajcberg part pour Nova Viçosa, sa forêt et son bord de mer. Il construit son premier atelier sur des plans conçus par Zanine et s’y installe. Il y reste seul. Le grand rêve utopique du groupe n’a pas résisté à l’isolement du lieu.
Pour en savoir plus sur son atelier-maison perchée en haut d’un arbre, cliquez ici
Lianes Noires, 1982 (Série Ombre portée).
Lianes, contreplaqué et pigments naturels (manganèse),
245 x 113 x 40 cm.
Frans Krajcberg commence à travailler à Paris ses « ombres découpées ». Il s’agit de capter les jeux de lumière sur des éléments naturels dont les formes le fascinent. L’ombre est dessinée puis découpée dans un support de bois. Dans les premières pièces, la découpe à la géométrie dure, "constructive" ou "concrétiste" s’oppose à la fluidité des lignes naturelles de la forme qu’elle souligne. Au fil des années elle s’en rapproche au plus près, telle l’épure d’un éclairage latéral.
"L'idée m'en était venue dans le Minas, mais c'est à Paris que j'ai fait mes premières ombres portées. Je voulais éclater le carré, sortir du cadre. J'avais plus d'une raison pour le faire. La nature ignore le carré, le mouvement tourne. (…) La vie n'est pas carrée et n'a pas de formes fixes. (…) L'abstraction du carré a accompagné les révolutions du début du siècle, comme l'Expressionnisme en accompagnait la misère. J'ai toujours eu une sensibilité expressionniste et je ne me suis jamais reconnu dans le Concrétisme. Je ne voulais pas l'art pour l'art. Je voulais trouver des formes nouvelles. La nature m'en offrait des milliers".
"Je dois plus aux bois découpés de Arp qu'aux papiers découpés de Matisse. (…) Ma recherche consistait à essayer des éclairages pour choisir une ombre. Il y en a une infinité. Aucun homme ne fait la même ombre et l'ombre du même homme bouge toujours. Je voulais unifier l'objet à son ombre. Je cherchais à retrouver l'objet dans son ombre. Je cherchais dans la nature une possibilité de renaître à la vie de l'art en s'unissant à des formes différentes mais captées d'elle. L'ombre portée lui ajoutait une forme. C'était ma participation".
En 1967, Frans Krajcberg épouse Alba, une jeune brésilienne originaire de Bahia, fille de riches médecins de Salvador. Étudiante en histoire de l’Art, elle rédige une thèse sur Vassily Kandinsky. Le couple se sépare trois ans plus tard.
En 1969, Frans Krajcberg est invité à l'exposition Art et Matière de Montréal.
Entre 1972 et 1974, Frans Krajcberg s’installe à Nova Viçosa. Il réalise ses premiers "bois polis", assemblages de bois morts dont il dégage des lignes architecturales : arbres creux ou palétuviers, dévorés de lumière. Quand j'ai vu les palétuviers, j'ai été impressionné. Je viens du Tachisme, de l'Abstraction de Paris. Comment capter la vie de ces formes, leurs changements et vibrations ? Soto y est arrivé dans le "pénétrable" du parvis du MAM de Paris. Dans cette vibration blanche, je retrouvais la forêt amazonienne.
Frans Krajcberg réalise aussi ses premières "empreintes de sable", moulées directement sur la plage à marée basse. Face à la mer, il observe durant des heures le va-et-vient des vagues et la force alternée des vents. En se retirant, l'eau inscrit sur le sable un répertoire illimité de sillons et d'ondulations. Sur du papier japonais, sans colle, il restitue les empreintes de la nature directement dans le plâtre, avant de les imprimer sur la face cachée du papier. Elles révélant la texture du sol, « la peau du monde », dans ses moindres détails. De cette nature vivante : sables, et plus tard végétaux, il subsiste une inscription matricielle qui restitue, grain par grain, la matière et la scène originale, à tout jamais mémorisées. L'empreinte est alors marouflée sur une toile ou du bois.
L'absence de cadre et de marge accentue l’originalité d’une œuvre « brute », loin de la peinture de chevalet. Tiré de son horizontalité pour être exposé verticalement l'objet de nature devient un artefact artistique qui immortalise une existence vouée à la disparition. Pour Frans Krajcberg, c’est une façon d’en porter le deuil à la face du monde. Dans cette démarche il est le premier à avoir utilisé l'interpénétration de la peinture et de la sculpture de façon aussi aboutie. Son intervention artistique leur permet de se rejoindre au plus près l’une de l’autre dans une exaltation réciproque que Paul Klee appelait « l'âme de la création » !
En 1975, Frans Krajcberg est invité à Paris pour exposer ses œuvres au Centre National d’Art Moderne, Georges Pompidou, en préfiguration. Le bâtiment est en construction. C’est la première exposition organisée sous son label. Il rencontre Claude Mollard, alors Secrétaire Général du Centre Pompidou. Pierre Restany rédige le catalogue de l’exposition, qui largement saluée par la critique. Elle donne lieu à des débats passionnés avec le public. Ces débats confortent Frans Krajcberg dans sa volonté de créer non seulement pour montrer la nature oubliée, mais pour dénoncer la nature menacée par l'extension planétaire de la troisième révolution technologique.
Fragment Écologique n∞5, 1973/1974, bois, 235 x 152 x 43 cm Collection Centre National Georges Pompidou Photographie ©Jacques Faujour.
« Ça bougeait en moi. Une démarche continuait. Les débats du CNAC l'ont clarifiée. Ils avaient lieu deux fois par semaine, après la projection de mes diapos. J'y ai pris conscience que, c'était fini l'Art pour l’Art et je veux que mes sculptures soient les témoins de ce désastre.
Ma sculpture est devenue engagée. C'est ma révolte que je veux exprimer. Il n'y a qu'une solution pour l'artiste moderne. Soit son art participe à notre troisième révolution industrielle, à celle de l'électronique et par la même il s'engage dans le progrès, soit il lutte contre les conséquences, contre cette pollution qui est aussi redoutable que les bombes atomiques.
Il faut choisir, et j'ai choisi de me battre, de m'exprimer non plus avec la seule beauté des formes de la nature, mais avec cette nature que l'on fait mourir. Mes sculptures aujourd'hui sont comme le mémorial de ce désastre que je vois, au milieu duquel je vis ».
Frans Krajcberg est de plus en plus sensible à la destruction de la forêt Amazonienne par le feu allumé par l'Homme. Son travail est ardu, sa souffrance à fleur de peau. Les blessures restées béantes après la destruction de sa famille durant la guerre s’aggravent à la vue des hectares de forêt qui disparaissent sous ses yeux.
Il installe devant sa propre maison une énorme sculpture de onze mètres de haut, baptisée « Mémoire de la Destruction ».
Vidés de leur substance, deux troncs d'arbre morts, asséchés et brûlés, sont encastrés l'un dans l'autre et dressés vers le ciel. Leur silhouette dramatique parle du deuil du végétal, mais aussi du corps humain, réminiscence et refus de l'oubli du passé. Tels les ancêtres africains, enterrés au cœur des habitations pour protéger les vivants de leur tribu, cette sculpture fait office de gardien spirituel de l'espace privé de l'artiste.
Dans une cohabitation conviviale avec la forêt, Frans Krajcberg a investi son territoire comme un village indien. Il y crée. Et côté mer il "expose" ses sculptures pour les photographier face à l'océan, comme dans un musée naturel.
En 1976, il embarque pour le Mato Grosso en Amazonie avec Sepp Baendereck rencontré l’année précédente. Ils partagent la même passion pour la défense de la nature et resteront liés par cette cause jusqu’à la mort de Baendereck en 1989. Ils feront ensemble trois expéditions amazoniennes. (1976-77-78) et trois voyages au Mato Grosso (1985-86-87).
Avec Pierre Restany, Krajcberg voyage à travers le Minas Gerais et le Piauí.
Frans Krajcberg et Pierre Restany, Minas Gerais, 1976
PIERRE RESTANY ET FRANS KRAJCBERG
« La nature originelle doit être exaltée comme une hygiène de la perception et un oxygène mental : un naturalisme intégral, gigantesque catalyseur et accélérateur de nos facultés de sentir, de penser et d'agir »
« La notion de naturalisme est l’expression de la conscience planétaire (…) l'option naturaliste opposée à l'option réaliste est le fruit d'un choix qui engage la totalité de la conscience individuelle. Cette option ne se limite pas à exprimer la crainte de l'homme devant le danger que fait courir à la nature l'excès de civilisation industrielle ».
« Le naturalisme intégral est une réponse. Et justement par sa vertu d'intégrisme, c'est-à-dire de planétarisation de la conscience, il se présente aujourd'hui comme une option ouverte, un fil directeur dans le chaos de l'art actuel ». Pierre Restany, Manifeste du Rio Negro, 1978 (extraits).
En 1978, Pierre Restany s’est joint à Sepp Baendereck et Frans Krajcberg pour une expédition en Amazonie. Alors qu’ils remontent le Rio Negro, Pierre Restany rédige le Manifeste du Naturalisme Intégral ou Manifeste du Rio Negro. Il y explore sa propre vision de l’Art confrontée à l’esthétique "alternative" de Frans Krajcberg, basée tout autant sur la réflexion que sur l’instinct. Les conférences de lancement à Rio, São Paulo et à Brasilia déchaînent une polémique.
« La nature amazonienne remet ma sensibilité d'homme moderne en question. Elle remet aussi en question l'échelle des valeurs esthétiques traditionnellement reconnues. Le chaos artistique actuel est la conclusion de l'évolution urbaine. Ici nous sommes confrontés à un monde de formes et de vibrations, au mystère d'un changement continu. Nous devons savoir en tirer parti. La nature intégrale peut donner une nouvelle signification aux valeurs individuelles de sensibilité et de créativité.
On a lancé le Manifeste du Rio Negro le jour où le Brésil s'ouvrait à la démocratie : les militaires venaient d'amnistier les opposants. C'était le premier débat après la dictature, on n'avait jamais parlé de la destruction des forêts. Les attaques ont été violentes. Certains n'admettaient pas que trois «gringos» parlent du Brésil. Le manifeste a été présenté à Curitiba, à New York, à Paris, à Rome et à Milan. »
FRANS KRAJCBERG.
Pour lire l’intégralité du Manifeste de Pierre Restany, cliquez ici
Photo de l'Amazonie, Brésil. Tous droits réservés
En 1980, Frans Krajcberg commence ses empreintes végétales polychromes à Nova Viçosa. En 1982-1983, après un voyage dans la région de Belem, il fabrique de monumentaux "tressages de vannerie", inspirés de l'artisanat local qui laissent naturellement passer la lumière.
Mais un choc décisif a lieu en 1985, lors d’un premier voyage au Mato Grosso, région sauvage et luxuriante au centre du Brésil. Il assiste impuissant aux incendies volontaires allumés par les grands propriétaires pour défricher des terres dévolues à l'élevage extensif. Révolté, il fait un long reportage photographique sur les forêts en flammes : "Queimadas", montrant sans ambiguïté le rôle de l’Homme dans cette destruction massive.
Frans Krajcberg est, et restera désormais, un militant actif montrant et dénonçant sans relâche.
L’Artiste rapporte de ce voyage des troncs de palmiers desséchés, dont il réalise plusieurs ensembles de sculptures, les "conjuntos". Bâtons de pluie ou totems, ils dénoncent la déforestation, comme l’ont fait ses photographies. L'inspiration indienne traverse ces fûts à la verticale, striés de lumière et d'ombre qu’il rassemble en forêt.
Je me demande toujours pourquoi comme je me questionnais enfant. Pourquoi l'homme détruit-il les richesses naturelles quand il sait que la planète s'épuise et que sans elles, sa propre vie y sera impossible ? Pourquoi le Brésil se désertifie alors que c'est l'un des pays les plus riches de la planète ? Pour des gains immédiats de terrains, on détruit ses forêts, on détruit à long terme, à côté d'une misère noire. La société est une machine commerciale et la pensée de l'art y a sombré. Où est l'artiste dans ces problèmes ?
L’année suivante, il publie son livre de photographies "Natura" et retourne dans le Mato Grosso poursuivre son combat.
JE CHERCHE DES FORMES A MON CRI.
En 1987, Frans Krajcberg voyage pour la troisième fois dans l’État du Mato Grosso. Le réalisateur Walter Salles l'y rejoint pour le tournage d’un film sur sa vie : "Krajcberg, Poète des Vestiges" (45 min, Prix du meilleur documentaire au festival dei Popoli à Florence). « Krajcberg fut la plus grande influence de ma vie », déclara le réalisateur à la mort de l’artiste.
L’œuvre toute entière de Krajcberg s’engage définitivement dans le combat environnemental. Pour exprimer sa révolte il cherche son inspiration dans les formes que lui offre la nature malmenée. Il veut alerter, dénoncer, hurler à la face du Monde les méfaits de la destruction en redonnant vie à des éléments naturels.
« Je montre la violence contre-nature faite à la vie. J'exprime la conscience planétaire révoltée. La destruction a des formes, bien qu'elle parle de l'inexistant. Je ne cherche pas à faire de la sculpture. Je cherche des formes à mon cri. Cette écorce brûlée, c'est moi. Je me sens dans le bois et les pierres. Animiste ? Oui. Visionnaire ? Non, je suis un participant de ce moment. Mon unique pensée est d'exprimer tout ce que je sens. C'est une lutte énorme. Peindre la musique pure n'est pas facile. Comment faire crier une sculpture comme une voix ? Qu'il y ait dans mon œuvre des réminiscences culturelles, des réminiscences de la guerre, dans l'inconscient, sûrement. Avec tout ce racisme, cet antisémitisme, je ne pouvais pas faire un autre art. Mais j'exprime surtout ce que j'ai vu hier au Mato Grosso, en Amazonie ou dans l'État de Bahia. »
Empreinte jaune, circ.1983, Empreinte de feuille sur papier japonais, pigments naturels, 60 x 100cm.
Krajcberg et sa voiture neuve, 1986, photo de Walter Salles
JE SUIS UN HOMME BRÛLÉ.
« Je suis un homme brulé. Le feu, c'est la mort, l'abîme. Le feu est avec moi depuis toujours. Mon message est tragique. Je montre le crime. J'en apporte les documents, je les rassemble et j'en ajoute, je veux donner à ma révolte le visage le plus dramatique et le plus violent. Je veux que mes œuvres soient un réflexe de brûlures ».
Dès la fin des années 1980, après ses voyages dans le Mato Grosso et en Amazonie, Frans Krajcberg commence à travailler à partir de "bois brûlés", récupérés sur les lieux de la déforestation. Ses « Révoltes" sont des assemblages réalisés à partir d’éléments naturels brûlés – troncs, lianes, racines… ramassés dans les forêts dévastées par les incendies, puis transformés au chalumeau. Le feu durcit le bois et lui donne une certaine résistance. L’œuvre est ensuite rehaussée de noir ou de rouge, couleurs tirées de charbon végétal, de pierres ou de pigments naturels, qui protègent, guérissent et camouflent comme le feraient des peintures de guerre.
Dressés sur des socles naturels, traversés de lumière, ses "bois brûlés", stèles ou totems, résonnent comme de tragiques sirènes d'alarme. Avec eux Frans Krajcberg affirme que la mort n’est pas une fin. Il la défie avec ses sculptures. Les éléments purifiés, transformés, magnifiés renaissent. Ses "écorces brûlées" font écho à ses "bois brûlés". Entre peinture et lambeaux épidermiques, leur économie tragique s'oppose à la théâtralité des "conjuntos".
Révoltes, Frans Krajcberg, anées 1980, bois brûlé et pigments naturels
LE TEMOIN
Frans Krajcberg est révolté par la destruction criminelle de la forêt amazonienne qui flambe jour et nuit, emplissant l'horizon de fumées noires. « Le massacre que j'ai vu dans la forêt amazonienne, je ne l'ai jamais vu ailleurs, même pendant la guerre ». Il est le premier artiste de renom à utiliser ses photos et ses sculptures pour dénoncer activement les incendies. Il défend également les habitants de l’Amazonie, dont il se sent proche par les traditions, leur mode de vie ou leur art.
Le 22 décembre 1988, Chico Mendes, le premier à avoir défendu une conscience écologique dans au Brésil et hors des frontières, est assassiné. Ses interventions ont permis de sauver près de 1.200.000 d’hectares de forêts. Frans Krajcberg lui rend hommage en sculptant un arbre à caoutchouc blessé, incisé de profondes lignes rouges qui évoquent le sang. Une plaque commémorative en bois pyrogravé porte le nom du militant martyr.
À Rio Branco, dans l’état de l’Acre, Frans Krajcberg photographie inlassablement la forêt dévastée et ramasse des éléments épars pour ses sculptures. Il tente de convaincre les agriculteurs de renoncer à abattre les arbres, ce qui lui vaut à son tour d’être menacé de mort à plusieurs reprises. Il rencontre le "Cacique" (chef spirituel) amérindien Raoni et s’engage à ses côtés pour défendre la cause des amérindiens d’Amazonie, avec lesquels il entretient des liens amicaux et militants jusqu’à sa mort.
Hommage à Chico Mendes, Frans Krajcberg
MON ŒUVRE EST UN MANIFESTE.
Dès les années 1980, la notoriété de Frans Krajcberg lui permet d’agir sur la scène internationale et de s’affirmer en tant qu’artiste militant. Il est invité à exposer son travail partout dans le monde. Il montre ses « Révoltes » à Cuba, à New-York et à Stockholm. En 1988 il participe au symposium sur l’environnement à Séoul et, côte artiste, au mouvement "Médecins sans frontières", en Roumanie.
Les années 1990 lui apportent la consécration de son art « écologique ». En 1990, il est invité à Moscou au Congrès International d’Écologie. C’est la première fois qu’il revient en Russie depuis ses études aux Beaux-Arts de Leningrad. En 1992, les Musées d’Art Moderne de Salvador et de Rio le mettent à l’honneur. A Rio, son exposition "Imagens do Fogo", pendant la Conférence Mondiale des Nations Unies sur l'Environnement, attire plus de 300.000 visiteurs. A Paris l'exposition "Amériques Latines", au Centre Georges Pompidou montre plusieurs de ses œuvres. En 1996, il est au cœur de l’exposition « Villette-Amazone » à la Grande Halle de la Villette. Sous la responsabilité de Jacques Leenhardt et de Bettina Laville, l’exposition est un manifeste qui place l’environnement comme enjeu prioritaire pour le XXIème siècle. En 1998, il expose à la Fondation Cartier, dans l’exposition « Être Nature ».
Très en avance dans la prise de conscience des enjeux planétaires, le rôle de Frans Krajcberg dans les années 1980/1990, l’inscrit aujourd’hui comme l’un des pères du mouvement Anthropocène qui donne à l’Homme un rôle déterminant dans l’équilibre planétaire. L’artiste quant à lui, est « au cœur de tout projet de civilisation, intégralement et radicalement ». L’Art permet de transformer la société. Toute sa vie, Frans Krajcberg rêve de gestes artistiques radicaux : « Le geste absolu serait de décharger, tels quels, dans une exposition, un camion de bois calciné, ramassés sur le champ. Mon œuvre est un manifeste. Je n'écris pas : je ne suis pas politicien. Je dois trouver l'image. Si je pouvais mettre des cendres partout, je serais au plus près de ce que je sens ».
Frans Krajcberg, 1986
LE CRI POUR LA PLANÈTE
En 2003, Frans Krajcberg est à l’honneur dans l’exposition « Art et Révolte » organisée dans le nouveau Musée du Montparnasse, situé dans l’allée où se trouve son atelier. Thérèse VIAN MANTOVANI est commissaire de l’exposition. Il donne un ensemble d'oeuvres emblématiques à la Ville de Paris, pour être exposées à l'Espace Frans Kracjberg au 21 avenue du Maine, inauguré par le Maire de Paris Bertrand Delanoë en Décembre.
A Curitiba, au Paraná, un musée portant son nom est ouvert dans le jardin botanique. À Nova Viçosa, il fait construire un petit musée à proximité de sa maison. Il sort la deuxième édition de son livre « Nature et Révolte »
Photo de Cesar Brustolin/SMCS ARQUIVO
En 2005 c’est l’année du Brésil en France. La Ville de Paris organise une grande exposition rétrospective dans le Parc de Bagatelle. Intitulée « Dialogues avec la Nature » elle rend hommage et donne la parole tant à l’artiste qu’au militant. Frans Krajcberg travaille en étroite collaboration avec Sylvie Depondt, Commissaire Générale, les producteurs brésiliens et les équipes des Parcs et jardins. Près d’une centaine d’œuvres est acheminée en cargo depuis Nova Viçosa. Les « bois brulés » sont exposés pour la première fois, en plein air. Les grands totems se détachent sur les pelouses et se dressent face aux arbres du bois de Boulogne Des débats franco-brésiliens sur le rôle des forêts urbaines et péri-urbaines sont organisés. Paris, Rio et São Paulo y participent activement. Gilberto Gil, alors Ministre de la Culture au Brésil, invité à cette occasion invite « chacun de nous à reconsidérer la Nature à travers l’Art ». L’exposition et les débats connaissent un immense succès : 450 000 visiteurs sont au rendez-vous. C’est pour Frans Krajcberg l’occasion de lancer son Cri pour la Planète : un appel militant et artistique destiné à réveiller les consciences endormies.
Pour plus d'informations sur l'exposition à Bagatelle, cliquez ici.
A cette occasion est diffusé sur France 5 le film documentaire « portrait d’une révolte », réalisé par Maurice Dubroca, et produit par Eric Darmon, Mémoire Magnétique productions (2004, 52 min), FIPATEL 2004, Prix UNESCO du documentaire 2004.
Pour regarder le documentaire, cliquez ici.
La même année une sculpture en bronze est installée sur la place de la Vache Noire, à Arcueil, et une œuvre est installée à l’Ambassade du Brésil, dans l’exposition « Entre Deux Lumières ».
Photos de l’exposition « Dialogues avec la Nature », Bagatelle, 2005
LA RECONNAISSANCE
En 2008, Frans Krajcberg reçoit le titre de "Citoyen Bahiano" de l’Etat de Bahia. Son livre de photos Queimadas dénonçant clairement les méfaits de la déforestation, est publié avec le soutien du Gouvernement.
Il est présent dans l’exposition O Grito – Ano Mundial da árvore (Le Cri – Année mondiale de l’Arbre) au Palacete Das Artes Rodin, à Bahia. À São Paulo, il expose au Parc Ibirapuera et à l’OCA, pour les 60 ans du Musée d’Art Moderne de la ville et participe à toutes les biennales. Il reçoit le prix de la Meilleure Exposition de l’Année par l’Association de Critiques d’Art et obtient le titre de "Citoyen Paulistano ".
En 2011 il expose au Musée d’Art Contemporain de Niteroi, dans la banlieue de Rio
.
En 2012 son œuvre est présente à João Pessoa, dans Natureza Extrema pour l’inauguration du Musée de Estação Cabo Branco. Il reçoit le grand prix Enku à Gifu au Japon, et la Médaille de Vermeil de la Ville de Paris lui est remise pour l’ensemble de son œuvre.
En 2016 à São Paulo, il est l’artiste d’honneur de la 32ème Biennale.
Oeuvres "Africanas" de Frans Krajcberg à la 32 ème Biennale de Sao Paulo de 2016, intitulée "Incerteza Viva" (Vivante Incertitude).
En 2016-2017 à Paris, le Musée de l’Homme invite Frans Krajcberg comme « premier lanceur d’alerte » dans les salles nouvellement rénovées. Ses œuvres sont installées dans la partie consacrée à « Où allons-nous ? » et provoquent interrogations et débats. Des rencontres sur sa vie et son œuvre sont organisées. L’Espace Frans Krajcberg accueille des performances et les travaux des chercheurs du Musée de l’Homme.
LE MANIFESTE DU NATURALISME INTEGRAL
Le « Cri pour la planète » lancé depuis Bagatelle en 2005 continue de rassembler militants et personnalités du monde l’Art et la Culture autour du combat de Frans Krajcberg pour la défense de l’environnement. Mais le sort de l’Amazonie reste au cœur de ses préoccupations. En 2011, il lance un « Cri d’espoir pour l’Amazonie » et cosigne une carte ouverte à l’ONU pour la création de l’Année Internationale de l’Amazonie, avec d’autres personnalités (Thiago de Mello, João Meirelles, André Trigueiro, Christiane Torloni, Vitor Fasano, Regina Jeha et Mario Mantovani).
En 2013, 35 ans après le « Manifeste du Rio Negro » de Pierre Restany, Frans Krajcberg et Claude Mollard lancent « le Nouveau Manifeste du Naturalisme Intégral ». Le texte réaffirme le rôle primordial de l’Artiste dans la défense de la Nature. Face à la globalisation menaçante, ils radicalisent les termes du premier Manifeste. Ils revendiquent le droit à la diversité et le devoir du respect de la planète : intégralement et radicalement ! Les artistes sont des citoyens du monde. A ce titre, ils doivent, puisant leur inspiration au plus près de la Nature, créer un mouvement capable de sensibiliser l’opinion publique.
Pour savoir plus sur « le Nouveau Manifeste du Naturalisme Intégral », cliquez ici.
En 2015 à l’occasion de la COP 21, l'Artiste, lance un grand mouvement en France et au Brésil avec l'association Akiri pour faire résonner son « Cri pour la planète ». La France, le Brésil, et le Pérou, avec les représentants des peuples Amérindiens et les artistes s’unissent pour demander que la protection de la forêt Amazonienne, gardienne de l’équilibre écologique, climatique et culturel de notre terre, ait sa place dans les négociations suer le climat qui doivent se dérouler à Paris en décembre 2015.
Expositions, conférences, colloques et projections sont organisés pour faire entendre la voix des peuples de la forêt amazonienne, en partenariat, notamment, avec le Musée du Quai Branly, la fondation Yves Rocher et la SNCF, Yann Toma, Anouk Garcia, Oskar Metsavaht, Vincent Carelli... La présence de leaders amérindiens et d’artistes à Paris qui s’expriment pour la défense de la forêt amazonienne représente une opportunité unique de les rencontrer et de soutenir leurs projets.
Benki Piyako, Frans Krajcberg, Puwe Luiz Puyanawa et Shipibos. Photo de Anouk Garcia:AKIRI.
« TRANSMETTRE »
Frans Krajcberg meurt le 15 novembre 2017 à Rio. Ses cendres reposent désormais à Nova Viçosa.
En 2019, l’Espace Frans Krajcberg, fermé depuis sa mort, rouvre avec une nouvelle identité et une mission renforcée : poursuivre le combat de Frans Krajcberg, diffuser et promouvoir son œuvre, se battre pour l’éveil des consciences et la (re)connexion de l’Homme avec la Nature. Désormais la programmation rassemble autour de son message et de son œuvre tous ceux qui souhaitent s’engager au service de la vie, de l’Art et de la planète.
Frans Krajcberg a passé sa vie à dénoncer. Mais il a toujours conservé sa force d’émerveillement, avec des yeux et une âme en alerte perpétuelle. Tous les jours, il travaillait son regard d’artiste et nourrissait sa vision engagée en photographiant inlassablement les détails de cette Nature qui le fascinait et dont il admirait la force de résilience. Avec lui, nous souhaitons alerter pour réveiller les consciences et agir pour développer l’espoir, deux messages qu’il nous a transmis et que nous souhaitons relayer ici.
"La forêt c’est la vie pure. Être, changer, continuer, recevoir la lumière, l’humidité, la vraie vie. Quand je regarde la nature je sens comment tout cela bouge : nait, meurt, la continuité de la vie… La nature remet ma sensibilité d’artiste et d’homme en question". Frans Krajcberg.
Portrait de Juan Esteves